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FONDATION CLEMENT : LE PARC DE SCULPTURES

 

Le parc de sculptures de la Fondation Clément s’est récemment enrichi de nouvelles œuvres. C’est donc le moment d’actualiser les précédents articles sur ce sujet. Il suffit de cliquer sue la première image pour déclencher le diaporama.

Trois œuvres séduisent par leur poésie. Elles jouent sur la transparence et  le reflet.

Walla Wallas de Dale Chihuly (Etats- Unis), l’une des dernières arrivées dans le parc, est une installation d’une vingtaine de bulbes d’oignons en verre soufflé aux couleurs douces ou saturées flottant sur une petite mare de la palmeraie.  Ils reflètent et diffusent la lumière, célébrant le mariage de la nature et de l’art. Dale Chihuly a consacré sa carrière à l’exploration de la technique du verre soufflé dans des créations monumentales et spectaculaires exposées partout dans le monde et visibles dans son propre jardin – musée de Seattle.

L’attrape – soleil aux quatre couleurs de Daniel Buren (France) joue aussi de la transparence,  du reflet et de la couleur. La lumière, le soleil, les nuages filtrés par le papier vitrail  inondent l’espace de taches de lumière colorée car  le panneau circulaire oblique  est orienté en direction du sud pour capter le maximum de rayons solaires. Les alentours sont alors inondés de halos colorés et l’œuvre invite le public à suivre la course du soleil autour d’elle et dans le paysage environnant à la manière d’un cadran solaire. Buren révèle les spécificités d’un lieu et invite le spectateur à poser un regard renouvelé sur l’environnement.

De loin, sage et presque discrète dans sa rigueur minimale, l’installation de Jeppe Hein(Danemark),  Dimensionnal Mirror Labyrinth ne révèle son secret que de  près.

 Elle oublie la couleur  mais construit et déconstruit l’espace tout en se fondant dans les frondaisons qu’elle  reflète. Le spectateur le modifie par sa présence car l’œuvre joue à cache- cache avec le spectateur, fragmenté et démultiplié  dans cet enchevêtrement d’images.  Il en perd ses repères et s’égare entre espace réel et espace reflété. Des lamelles rectangulaires verticales  équidistantes en acier inoxydable poli, de taille égale captent l’espace environnant et impliquent directement les flâneurs. La surface en acier poli réfléchit non seulement les visiteurs et le paysage mais aussi le reflet des miroirs voisins alors que l’espace réel reste perceptible entre les lames verticales. Cette vision démultipliée et fragmentée perturbe les repères spatio – temporels et désoriente. On voit apparaître des images tronquées et dupliquées sans vraiment comprendre où se trouve leur source. Avant d’être une expérience artistique, c’est une expérience réelle de notre rapport psychologique à l’espace. Œuvre épurée, géométrique, abstraite, minimaliste, lié d’une certaine manière à l’art cinétique puisque le mouvement du spectateur modifie la vision  qu’il a de l’œuvre, elle est aussi ludique et fascinante.

A petite distance des reflets des feuilles dans l’acier poli de la sculpture minimale de Jeppe Hein, Sylphide de Pascale Bedague  dite Aka  s’impose par sa simplicité formelle.

Pascale Bedague

Le feuillage du jardin se reflète sur la surface polie des polyèdres d’Heavy Metal Stack Of Six d’Angela Bulloch (Canada). En outre, le mouvement du regardeur modifie la vision de l’œuvre : la  déambulation  autour  de  l’œuvre  perturbe  la perception et    donne  l’impression  que  les  formes  s’animent .  On ne sait plus si  la  colonne est en deux ou trois dimensions.

 Néanmoins en dépit de ses similitudes avec le labyrinthe de Jeppe Hein, ce totem géométrique appartient davantage à la catégorie  des autres œuvres liées d’une façon ou d’une autre aux mathématiques, arithmétique ou géométrie.

Heavy Metal Stack Of Six d’ Angela Bulloch est  un  empilement  de  six  lourds  polyèdres  de  métal de trois couleurs, violine, vert foncé et gris  conçu  avec  un  logiciel  d’imagerie  numérique. Heavy Metal Stack Of Six a été exposée dans le Jardin des Tuileries lors de la FIAC 2014 et une version Pink l’a été à Art Basel en 2015.

Les variations et l’alternance de forme, de taille et de couleur des éléments instaurent  un rythme. La surface des formes rhomboïdes verticalement assemblées, peintes dans une combinaison de couleurs claires, vives ou foncées, crée une illusion d’optique avec le passage de deux à trois dimensions en fonction de l’angle du regard. Pour envisager l’œuvre dans son intégralité, le spectateur doit circuler autour de la sculpture.  D’un côté l’aspect irrégulier domine, de l’autre l’impression d’une régularité totémique prévaut.  Réalité et virtualité coexistent. D’inspiration minimaliste,  fondée sur la déclinaison de  systèmes et de  modèles,  l’œuvre allie  mathématiques et esthétique tout en perturbant la perception spatiale.
L’extension du jardin s’est faite en partie  en hauteur sur la droite par rapport au début du parcours. L’emplacement d’une des sculptures récemment implantées est fort bien choisi parce que, d’en bas,  l’on aperçoit un fragment de l’œuvre au sommet du morne et que cela provoque l’irrésistible envie de grimper pour la voir toute entière. C’est un imposant dé rouge en aluminium thermo laqué. Symbole du hasard et de l’aléatoire, le Misthrown Dice de Gilles Barbier (France), réalisé en trois versions dont l’une a été exposée au Jardin des Tuileries à l’occasion de la FIAC en2017, n’est pas allé au terme de sa course mais s’est immobilisé en équilibre sur une de ses arrêtes.  C’est un dé «  cassé » qui laisse entrevoir  ses six faces donc six choix potentiels. L’Homme-dé de Luke Rhinehart, roman sorti en 1971, racontant l’histoire d’un psychanalyste pétri d’ennui qui décide de jouer aux dés toutes les décisions de son existence a inspiré Gilles Barbier. Un coup de dé jamais n’abolira le hasard dirait Mallarmé.

La sculpture de Bernar Venet (France) a toujours entretenu un rapport étroit avec les mathématiques et trouve sa source dans la géométrie euclidienne. L’artiste  est internationalement reconnu pour ses créations sculpturales monumentales en acier corten, fondées sur un même concept.  La ligne est au cœur de sa démarche, droite, courbe, oblique et ses séries se nomment Lignes indéterminées, Angles aïgus, Arcs. Silhouettes élancées et singulières, impressionnantes de légèreté apparente en dépit de la forte présence du matériau – et de leur véritable poids de plusieurs tonnes – ces sculptures, expressions de la radicalité des recherches de Bernar Venet, sont remarquables  par leur simplicité formelle. Elles révèlent le lieu où elles s’inscrivent et interpellent le visiteur. La formule de l’identité mathématique de l’œuvre, 218,5 arc x4,  y est gravée. Quatre courbes de dimension égale, portions d’un cercle virtuel, juxtaposées en quinconce  composent cette sculpture minimale.

 Par son titre,  Arithmétique des croisements de Bruce de Jaham (Martinique),  renvoie aux formules mathématiques. C’est une œuvre créée à partir de métal de récupération où l’artiste se confronte physiquement à la matière.

Sphère de ciel – ciel de sphères de Vladimir Skoda (Tchékoslovaquie)  est un ensemble de trois énormes boules en acier perforé inoxydable de taille dégressive, composées d’un assemblage de triangles fixés par des boulons.  On y retrouve donc deux figures géométriques fondamentales, la sphère et le triangle dans une quête de simplicité et de perfection des formes. C’est une œuvre inspirée par des réflexions scientifiques sur le cosmos, transfigurées par l’imagination et la fantaisie. Elles invitent elles aussi à une relecture du paysage environnant.

Les sculptures les plus « traditionnelles » d’apparence sont peut- être les plus innovantes. Virtual Yoona de Catherine Ikam et Louis Fléri, Silène luminaris sive Muflier de Borgès de Miguel Chevalier, Heavy Metal Stack Of Six d’Angela Bulloch sont en effet des créations numériques. Au premier regard, volumes d’acier ou de bronze, elles dissimulent le secret de leur conception. A l’origine, Yoona est une base de données 3D obtenue par le moulage numérique du visage d’une jeune coréenne. Virtual Yoona est donc la matérialisation en bronze de ce  modèle 3D, réalisée spécialement pour la Fondation Clément. Voici associés la conception numérique et un matériau traditionnel de la sculpture, le bronze.

L’œuvre de Miguel Chevalier appartient à la série des Fractal Flowers. L’artiste a modélisé les conditions de développement du vivant pour générer des formes complexes qui acquièrent ensuite une réalité matérielle à l’aide d’une imprimante 3D. Heavy Metal Stack Of Six d’ Angela Bulloch est  un  empilement  de  six  lourds  polyèdres  de  métal conçu  avec  un  logiciel  d’imagerie  numérique. Le titre, Silène luminaris sive muflier de Miguel Chevalier (Mexique), est déjà à lui seul une petite énigme. Le silène muflier est une plante rare des bois de l’ouest du Québec de la  famille des Caryophyllacées qui ne s’épanouit que peu de temps chaque jour. Le génitif latin luminaris fait- il  allusion à la déclinaison lumineuse de sa version initiale virtuelle ?  Sive est – il l’adjectif français pour dire qui s’essouffle vite, ce qui correspondrait assez bien à la brièveté des apparitions successives de la fleur virtuelle sur écran ou faut –il le comprendre comme une conjonction latine, équivalente de la coordination ou. L’œuvre est en tout cas un hommage au poète Jorge Luis Borges.

On n’apprécie pleinement l’œuvre qu’en suivant le processus de sa création : fleur lumineuse imaginaire et virtuelle, générée par un logiciel,  germant, croissant, fleurissant.  L’artiste en arrête la croissance pour obtenir un fichier numérique.  Grâce à ce dernier,  il la concrétise et la matérialise  à l’aide d’une imprimante 3D, sous la forme d’une maquette en résine. La sculpture numérique sert alors de modèle pour la réalisation de la sculpture monumentale, de forme  complexe née de la répétition d’un module identique. Vous ne verrez plus la fleur géante de la même manière après avoir visionné cette petite vidéo.

Miguel CHEVALIER Silène Luminaris Fondation Clément, Martinique from Claude Mossessian on Vimeo.

Catherine Ikam questionne la manière dont l’utilisation du numérique modifie la nature du portrait traditionnel.  Les captures numériques de Martine, As,  Alex, Yurek et Yoona en sont un exemple. Élaborées par l’artiste à partir de ce qu’elle nomme un « moule numérique », les portraits  sont réalisés en plusieurs étapes et consistent d’abord en une saisie volumétrique du visage à l’aide d’un scanner afin d’obtenir numériquement un double du modèle. C’est à partir de ce dernier que la sculpture sera finalisée.

Catherine Ikam Louis Fléri
Virtual Yoona
Virtual Yoona
Bronze patiné
236 x 167 x 126 cm
2015
© Fondation Clément

« Virtual Yoona » – Fondation Clément, Le François, Martinique – Catherine IKAM et Louis FLERI (short version) from Catherine Ikam – Louis Fleri on Vimeo.

C’est le règne du végétal et du métal, décliné sous maintes formes : acier inoxydable poli, métal oxydé, acier corten, bronze patiné, aluminium thermo- laqué, acier perforé et le jardin propose au promeneur un éventail de textures : lisse, dur, froid, granuleux, rugueux, mat, terne, brillant…

On perçoit comment  les artistes  explorent les potentialités du matériau  et jouent sur le contraste entre la lourdeur du matériau et la légèreté de la forme. La courbe élégante de l’arc de Venet pèse des tonnes. Le nœud de la Meditación horizontala de Modesto Castaner (Cuba) semble un défi à la matière. Imiter  la souplesse du nœud dans un matériau rigide, même si le cordon est un tuyau creux de vingt deux centimètres de diamètre, est un exploit technique.

Modesto Ramón Conceptión Castañer
Modesto Meditación Horizontal
Acier
230 x 221 x 86 cm
Installation 2015
© Fondation Clément

Pablo Reinoso (Argentine), dans la série des  Beam Benches, débutée en 2011 poursuit, non sans humour, sa réflexion sur les matériaux, ici, la poutrelle d’acier. L’acier se tord comme un fil pour créer un banc.  L’acier dessine alors des volutes aériennes, des espaces légers, transparents, contemplatifs, alliant le pratique et le poétique.

Le métal peut – être le résultat de récupération et de recyclage. Christian Bertin (Martinique), par exemple, superpose des fûts métalliques, autrefois détournés de leur usage premier pour collecter et conserver l’eau de pluie, les bomb d’lo. Il s’inscrit ainsi dans la  pratique populaire caribéenne de récupération, de rafistolage, de bricolage qu’il transpose de la vie quotidienne à la création artistique. Une même structure totémique apparaît de manière récurrente dans ses installations éphémères comme dans ses œuvres pérennes, de Bomb d’lo Balata ( 2004) à Hommage aux insurgés du sud ( 2019), de champ de mâts de cocagne Quartier citron ( 2007) à Ombres ( 2014). Les fûts sont repeints en noir, parfois rouge ou or, goudronnés, décorés de découpes ou de textes, le plus souvent d’Aimé Césaire.

Christian Bertin
Ombres
2014
© Jean- François Gouait

Avançons ensemble de Luz Severino (République dominicaine) entre aussi dans cette catégorie d’œuvres en métal recyclé. Vingt statues longilignes   en métal soudé et oxydé, d’une extrême simplicité font bloc   et une certaine puissance se dégage de l’ensemble. D’inattendues notes de bleu, de rouge, de blanc, de brun  tranchent sur la couler naturelle de la matière pour indiquer de manière symbolique la nécessaire union des hommes de tous les continents.

Le couple Fleur- Fleur d’Hervé Beuze (Martinique) est lui aussi en marche. Ce sont des sculptures anthropomorphiques monumentales à la présence spectaculaire. Créées par assemblage de tiges métalliques et de fer à béton entrecroisés et soudés, elles évoquent par leur couleur rouge  un réseau sanguin.

Les figures en réunion de Christian Lapie (France), forme une cohorte de géants de bois, totémiques, immuables, archaïques, frustes, sentinelles fantomatiques et comme inachevés mais à la forte présence physique. La taille directe à la hache et à la tronçonneuse du bois chauffé et brûlé puis traité de manière rudimentaire à l’huile de lin sous pression laisse visibles des entailles et des crevasses. Ces tribus prophétiques parcourent le monde mais condescendent à une pause à l’ombre de sites exceptionnels en Virginie, au Canada, en Suisse, au Cameroun, en Pologne, au Japon, en Inde, en France, en Angleterre et ici, au François.

Thierry Alet ( Guadeloupe) et Jonone (Etats-Unis) étirent leur écriture dans l’espace. Le rouge Blood de Thierry Alet est un hommage au  poème Rappel de Damas «  Il est des choses dont j’ai pu n’avoir perdu tout souvenir  » tandis que Jonone inscrit le nom du premier propriétaire des lieux, Clément, dans une œuvre commémorative commandée par la Fondation pour le 125ème anniversaire de la marque.

On découvre toujours une nouvelle oeuvre au détour d’un chemin, la Marathonienne de Philippe Hiquily (France), un bel exemple de sculpture moderne, abstraite et anti- illusionniste à l’équilibre formel harmonieux. C’est de la combinaison de plans, de l’alternance de vide et de plein qu’émerge le volume. Ou bien la plus énigmatique Etoile du levant de Michel Rovelas ( Guadeloupe), un assemblage de bois et de métal.

Chaque nouvelle visite révèle une piste d’approche à explorer et à approfondir : la matérialité de l’œuvre et la force expressive des matériaux, le recyclage, l’abstraction et le figuratif, sculpture et  conception numérique, sculpture et mathématiques, sculpture et  minimalisme, le reflet comme élément constitutif de l’œuvre,  l’anthropomorphisme, l’écriture dans l’espace.

Chacun choisit son circuit, chacun choisit un angle de vue très personnel et  a  sa vision particulière du jardin . Voilà celles que révèlent deux photographes professionnels, Gérard Germain et Joël Zobel

DOMINIQUE BREBION 

Discussion

3 réflexions sur “FONDATION CLEMENT : LE PARC DE SCULPTURES

  1. Magnifique et multiculturel. J’aimerais bien les voir de près!

    Publié par Berthe Aubery | 15 février 2020, 16 h 43 min

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